Prédication
Le début des Actes nous parle de la constitution d’une communauté chrétienne, celle de Jérusalem. Cela nous permet, en ce temps de rentrée, de réfléchir au sens du mot « communauté », et ce que signifie « faire communauté ».
Notre communauté
Comment définirions-nous notre communauté de Bordeaux Nord-Ouest ?
Les observateurs extérieurs pourraient dire que c’est une communauté de personnes croyantes, protestantes d’origine réformée, avec un temple, des cultes, des activités, une pasteure, une assemblée, un conseil local et un conseil presbytéral…
Certains fidèles diraient que c’est une Église dynamique avec beaucoup d’activités et une communauté sympa avec une belle fête d’Église…
D’autres diraient : « Ah, ce n’est plus comme avant… on est moins nombreux… Où est la relève ??? Et nos finances, si vous saviez… Qu’est-ce qu’on va devenir ? »
Les théologiens s’attacheraient à dire que nous sommes une communauté de croyants issue de la Réforme, annonçant la bonne nouvelle de l’évangile, c’est à dire l’amour et de la grâce de Dieu révélé en Jésus Christ.
Et vous, que diriez-vous ? Quels mots vous viennent à l’Esprit quand on dit le mot « communauté » ?
Décrire les contours d’une « communauté » est complexe ; vous l’avez bien compris, cela dépend de quel point de vue on se place : Le vécu communautaire ? La théologie ? Le fonctionnement pratique ? La place de chacun ?
L’appartenance à la communauté
La question de l’appartenance à une communauté se pose individuellement. Comment rejoindre une communauté ? S’agit-il d’aller au culte, ou de rencontrer le pasteur, ou de demander le baptême ???
Dans les Actes, Pierre s’intéresse à ce « comment » être accepté dans le cercle des croyants en Christ. En effet, la question est importante car les auditeurs de Pierre ne sont pas forcement tous les bienvenus, étant issus de la communauté juive des persécuteurs de Jésus. Ils sont en quelque sorte traumatisés par cette stigmatisation ; le texte nous dit qu’ils ont le « cœur transpercé ».
D’où la question tout à fait légitime qu’ils posent : « Que devons-nous faire pour intégrer la communauté ? »
C’est souvent une question posée par les nouveaux venus : « Que devons nous faire ? » J’entends souvent : « Ai-je le droit de venir au culte ? ». Bien sûr, l’entrée au culte est libre. Une communauté se constitue lorsque nous sommes ensemble lors d’un culte : c’est le groupe (ou assemblée) à l’écoute d’une même Parole, communauté de chant, de prière…
Mais, le sentiment d’appartenance, ou l’appartenance réelle à une communauté, est une chose plus subtile. Ce n’est pas parce que l’on est accueilli à la porte du temple que l’on se sent toujours appartenir à la communauté. Ce n’est pas non plus le baptême qui signifie l’entrée dans la communauté, car on ne vous demande pas si vous êtes baptisé à l’entrée.
Autrefois, Pierre l’explique, le baptême était nécessaire pour entrer dans la communauté ; car l’Esprit était pensé arriver au moment du baptême. La communauté se définissait donc comme communauté de baptisés et communauté d’Esprit. Or, nous pensons que l’Esprit de Dieu est présent avant le baptême. Cet Esprit divin, il est souffle de vie agissant dès le début, dès le récit de la création où Dieu range et donne des conditions favorables à la vie. Pour nous, protestants d’aujourd’hui, le baptême n’est que le signe de la grâce de Dieu. La grâce précède le baptême. L’esprit aussi. Donc, nous ne disons pas que le baptême est une condition pour appartenir à la communauté.
Alors ? Y a-t-il une attitude particulière à adopter pour entrer dans une communauté ? (on espère une positive-attitude…)
Dans les Actes, il est effectivement question du comportement de celui qui veut entrer. Pierre parle d’opérer un « changement radical ». La communauté est-elle alors l’ensemble de ceux qui ont radicalement changé ? Le changement radical est souvent compris comme une rupture radicale entre un avant et un après ; comme si on pouvait abandonner complètement sa vie d’avant, et renaître comme disciple du Christ, complètement transformé. Je n’ai rien contre, mais il s’agit d’une rupture de vie autoproclamée et assez peu réaliste ; peut-on espérer changer radicalement entre un matin et un soir, même avec l’Esprit ???
Je dois vous avouer, la traduction « changement radical » n’est pas forcement excellente car c’est de la metanoia dont il s’agit. Il s’agit plutôt de changer d’état d’esprit, de se tourner vers Dieu et les autres dans un esprit d’ouverture. On avance alors sur un chemin où l’on change peut-être par déplacements successifs grâce à l’Esprit de Dieu, avec sa Parole qui « besogne » en nous (comme disait Calvin).
On peut donc définir la communauté comme un groupe de personnes pour lesquelles la Parole évangélique opère un changement d’état d’esprit, dans une ouverture aux autres, avec Jésus Christ comme source d’inspiration.
Communauté dans ou hors du monde ?
Dans un autre registre, Pierre laisse entendre que la communauté est celle à part de la génération perverse. Ici encore, la traduction est assez « caricaturale », comme si le monde était pervers et les chrétiens non pervers, comme hors du monde.
Traduire par « Génération tortueuse » serait préférable. Le contraire serait « génération accomplie ».
La communauté chrétienne présentée comme étant hors du monde pervers, excusez-moi, mais je n’y crois pas un instant, l’histoire de l’Église prouve le contraire.
Mais, la tentation d’un communautarisme chrétien se voyant comme pur (ou accompli) face au reste du monde pervers (sous entendu non-fini, c’est à dire barbare) est bien un danger contemporain réel. C’est la question d’un groupe de croyants qui serait meilleur que d’autres, et donc au final, au lieu de vivre calmement dans la pluralité et le respect, l’autre est perçu comme un danger, perverti par ses croyances, à tenir à distance, ou carrément à éliminer.
Bref, la traduction proposée « génération perverse » parler de l’extérieur est mauvaise car elle autorise un repli identitaire assez fâcheux qui pousse au communautarisme. Or parler de génération tortueuse est assez intéressant. Car cela nous pousse à réfléchir que, malgré nos attachements aux idées de la Réforme, malgré notre foi et nos convictions, nous sommes sans cesse écartelés entre les désirs d’un cœur fidèle à Dieu (amour de Dieu et des autres) et les désirs du monde (désir de vie accomplie dans l’épanouissement personnel et les loisirs). Il ne faut pas opposer les deux, mais penser la manière de les tenir ensemble, de les articuler. Nous n’envisageons pas de former une communauté d’ascètes coupés du monde. Donc, comment vivre en croyants dans un monde compliqué, sécularisé, où les idées contraires à l’évangile sont sans cesse présentées comme espérance pour un monde meilleur.
D’ailleurs, les idées du monde nous atteignent, nous séduisent souvent, au point que nous pouvons nous reposer la question de la pertinence de faire communauté. Beaucoup se sentent proches des idées de la Réforme, sont prêts à adhérer à quelques causes soutenues par l’Église, mais n’ont plus envie de faire communauté.
Pourquoi refuser aujourd’hui de faire communauté ? Qu’est ce qui coince ?
Pluralité d’êtres et communauté
J’aurais envie de vous demander, comme Jésus interroge sa mère lors des noces de Cana : « Qu’avons-nous de commun en cette affaire ? »
Oui, qu’avons-nous en commun les uns les autres ?
Rien, ou si peu… nous arrivons chacun avec notre être propre, nos valeurs, nos parcours de vie, nos pauvretés ou richesses, nos savoirs… Il n’y a en a pas deux pareils dans une assemblée…
Mais est-ce si important ? Car le « commun » d’un groupe croyant ne repose pas entièrement sur ce qu’ apporte chacun.
Qu’avons-nous donc de commun dans cette affaire ?
Malgré la diversité des parcours de vie, il y a des points communs : une humanité, avec toute ses forces et fragilités et le fait d’avoir franchi le seuil, la porte entre l’extérieur et l’intérieur. Ou d’avoir cliqué sur la lecture de cette prédication si vous êtes devant votre ordinateur…
Peut-être est-ce en réponse à l’appel de Dieu, ou en quête spirituelle, ou en quête de sens pour votre vie… quelle que soit la raison de votre présence ici et maintenant, il y a en commun une espérance.
Cette espérance a un nom, Jésus Christ, envoyé de Dieu pour sauver l’humanité d’elle-même.
Christ est Sauveur en ce qu’il nous pousse à considérer la communauté non pas comme l’addition de personnalités assises à côté les unes des autres reliées par des fils divers (foi, pensées, salut), mais plutôt comme un seul corps, le corps du Christ.
Pensez à Paul qui présente un corps (Christ) composé de différentes parties (les croyants dans leur diversité) en 1 Co 12, 12….
De cette vision peut émerger une véritable communauté de fraternité, où l’autre non seulement présent mais aussi nécessaire. L’autre (le frère) est grâce selon Bonhoeffer (De la vie communautaire). Chaque membre de la communauté est don pour les autres, ceci est une expression de la grâce de Dieu. Amour, écoute, service sont des dons offerts les uns pour les autres, à l’exemple de Jésus.
La communauté de fraternité est dès lors l’expression de la foi en Christ rendue manifeste. La communauté ne se décrète donc pas, elle se construit dans l’amour fraternel, elle est en même temps responsabilité de la foi et don de la grâce.
Voir l’autre comme un don, peut-être est-ce là notre plus grand défi pour cette année afin de faire communauté, et vivre l’espérance de Dieu pour le monde.
Amen.