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Prédication Mt 13, 14-43
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Il leur proposa cette autre parabole : Il en va du règne des cieux comme d’un homme qui avait semé de la bonne semence dans son champ. Pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema de la mauvaise herbe au milieu du blé et s’en alla. Lorsque l’herbe eut poussé et produit du fruit, la mauvaise herbe parut aussi. Les esclaves du maître de maison vinrent lui dire : Seigneur, n’as-tu pas semé de la bonne semence dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y ait de la mauvaise herbe ? Il leur répondit : C’est un ennemi qui a fait cela. Les esclaves lui dirent : Veux-tu que nous allions l’arracher ? Non, dit-il, de peur qu’en arrachant la mauvaise herbe, vous ne déraciniez le blé en même temps. Laissez croître ensemble l’un et l’autre jusqu’à la moisson ; au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Arrachez d’abord la mauvaise herbe et liez-la en gerbes pour la brûler, puis recueillez le blé dans ma grange. Il leur proposa cette autre parabole : Voici à quoi le règne des cieux est semblable : une graine de moutarde qu’un homme a prise et semée dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences ; mais, quand elle a poussé, elle est plus grande que les plantes potagères et elle devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches. Il leur dit cette autre parabole : Voici à quoi le règne des cieux est semblable : du levain qu’une femme a pris et introduit dans trois séas de farine, jusqu’à ce que tout ait levé.
Tout cela, Jésus le dit aux foules en paraboles ; il ne leur disait rien sans parabole, afin que s’accomplisse ce qui avait été dit par l’entremise du prophète :
Je prendrai la parole pour dire des paraboles, je proclamerai des choses cachées depuis la fondation du monde.
Alors il laissa les foules et entra dans la maison. Ses disciples vinrent lui dire : Explique-nous la parabole de la mauvaise herbe dans le champ. Il leur répondit : Celui qui sème la bonne semence, c’est le Fils de l’homme ; le champ, c’est le monde, la bonne semence, ce sont les fils du Royaume ; la mauvaise herbe, ce sont les fils du Mauvais ; l’ennemi qui l’a semée, c’est le diable ; la moisson, c’est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges. Ainsi, tout comme on arrache la mauvaise herbe pour la jeter au feu, de même en sera-t-il à la fin du monde. Le Fils de l’homme enverra ses anges, qui arracheront de son royaume toutes les causes de chute et ceux qui font le mal, et ils les jetteront dans la fournaise ardente ; c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Que celui qui a des oreilles entende !
Les serviteurs sont zélés ; ils veulent désherber, ils veulent enlever la mauvaise herbe qui pousse dans le champ et qui risque d’étouffer la plante issue de la bonne semence. Très honnêtement, les mauvaises herbes sont le cauchemar de tous les jardiniers… Le nettoyage, l’arrachage des mauvaises herbes est valorisant pour la beauté du jardin.
Pourtant la parabole met un coup de frein à cette volonté de faire quelque chose, la parabole met un coup de frein à la volonté de purification du champ du royaume, où la semence représente les fils du royaume et la mauvaise herbe sont les fils du Mauvais.
Avec cette parabole, l’énorme problème de la co-existence du bien et du mal est posée ; la parabole souligne qu’effectivement le bon cohabite avec le mauvais, ils sont entremêlés et se nourrissent de la même terre. On peut quand même remarquer que le mal est semé quand les serviteurs dorment, c’est à dire quand ils ne sont pas très attentifs au champ, peut-être quand ils désertent le royaume, quand la foi décline et que les valeurs non-évangéliques ont le champ libre pour germer, au milieu d’un erzatz de bonne semence.
Bref, la parabole nous rappelle que bien et mal cohabitent et on pourrait dire à la suite de Michel de Montaigne que « les biens et les maux sont consubstantiels à notre vie ». Oui, bien et mal sont intimement mélangés dans notre vie, inutile de rappeler que nous ne sommes pas des saints, mais que comme les serviteurs nous voulons toujours faire quelque chose pour arranger ça… nous avons toujours quelque solution miracle pour tendre vers ce que nous considérons meilleur pour nos vies, pour aller mieux, pour vivre mieux, et nous restons souvent comme les serviteurs dans le faire : faire de la relaxation, de la gymnastique, faire le vide, faire et encore faire.
De plus, nous sommes aussi toujours relativement prompts à repérer ce qui va mal dans le monde, nous pouvons facilement dire tout ce que nous trouvons anormal, tout ce qui nous dérange et tout ce qu’il faudrait supprimer dans le monde pour que ça aille beaucoup mieux : la guerre, la méchanceté, la bêtise… certains diront même la richesse ou les inégalités, d’autres diront les migrations… Chacun a son idée pour que le monde aille mieux.
Or l’idée du tri pour revenir à un monde purifié, cette tentation de la purification est un vrai danger car elle a abouti aux pires génocides : hier les croisades, les guerres de religion, la shoah, les guerres contemporaines avec la flambée des extrémismes et de l’intolérance, tout cela au nom d’un idéal de pureté.
Au niveau de l’Église et des options théologiques, ça fonctionne pareil : qui n’a jamais pensé qu’il a raison de croire comme il croit et que les autres n’ont vraiment rien compris, ou qu’ils sont dans l’erreur… l’histoire du christianisme est là pour nous rappeler que la recherche de la vérité, la recherche de pureté engendre souvent une répression sans borne, quitte à mettre à feu et à sang le royaume de Dieu, en oubliant toute perspective évangélique. Et ça va très vite, parfois pour des disputes théologiques mineures.
Or la parabole nous le rappelle : le bien et le mal grandissent ensemble, que ce soit dans nos vies ou dans le champ du monde ; c’est comme ça et nous n’avons rien à faire que de l’accepter et de laisser le temps passer. Un peu dérangeant, non ?
Je vous suggère de regarder d’un peu plus près cette mauvaise semence, semée par le diable. Le diable est la figure du malin, du mauvais, de ce qui induit une séparation. Sa semence s’appelle zizania en grec. Le diable n’a pour autre fonction que de semer la zizanie dans un champ déjà semé ; la zizanie, c’est la confusion, la division.
L’ivraie, nom français de zizania, est une plante étonnante : elle ressemble au blé jusqu’à la fin de sa croissance ; d’où le danger de vouloir l’arracher alors qu’elle ressemble à s’y méprendre au blé. Oui, le mal ressemble parfois à s’y méprendre au bien… cela donne à réfléchir un peu, et à interroger nos critères de distinction entre le bien et le mal. Qu’est-ce qui est bien pour moi, qu’est ce qui est bien pour les autres ?
La ressemblance entre le blé et l’ivraie nous invite à la vigilance, à la prudence sur ce qu’on identifie au premier coup d’œil comme bien, mais qui finalement n’est pas si bien que ça à long terme, et ce qui semble mauvais à priori donne peut-être au final quelque chose de bon.
Comme le demande Jésus, il faut attendre, il faut donc consentir à la coexistence du bien et du mal, car c’est une réalité incontournable du monde, de nos vies, de notre intériorité. Oui, la parabole nous le rappelle, nous sommes des créatures humaines complexes, emplies de bonne volonté mais terreau pour le bien et aussi pour le mal ; ensemble, mélangés, difficilement différenciables.
Notre vie est faite d’un équilibre subtil entre ce qu’il y a de bon et de moins bon en nous ; la zizanie en nous, on la trouve dans nos arrangements avec la réalité, nos interprétations de ce que nous vivons ou faisons à travers le philtre de notre égoïsme et de notre amour propre. La zizanie peut tout simplement être la vérité de nos vies retouchée et vue en fonction de nos intérêts propres, malheureusement souvent au dépend des autres. L’amour pour autrui est souvent empoisonné par le désir d’être aimé, d’être servi, de recevoir en retour ; il peine à être pur don et désintéressé… c’est comme ça ; ce n’est pas une fatalité ni un reproche mais un constat car nous ne sommes pas des anges… le bien et mal cohabitent en nous.
Et donc, une notion devient capitale dans notre manière de voir la vie, l’incertitude, qui n’est pas une valeur très à la mode.
Or, l’incertitude sur notre propre condition découle de ce constat de la co-existence du bien et du mal. L’incertitude est essentielle pour résister à la tentation de la purification. Kierkegaard soutient que si l’on prend au sérieux la nécessité d’entretenir la non-certitude et que l’on s’applique à vivre de toutes ses forces pour vivre en conformité avec ce qui est juste, alors on n’a pas le temps de s’occuper du destin des autres ; le danger est selon lui de se croire assez juste pour se préoccuper du destin éternel des autres. Il dit : « préserve-moi ô Dieu de devenir jamais parfaitement certain ; garde moi jusqu’au bout dans l’incertitude, afin que si je perçois la félicité (bonheur suprême/bien), je sois absolument certain de l’obtenir par grâce ».
La question n’est donc pas est-ce que je suis assez bien, elle est encore moins de savoir comment sont les autres, mais elle est de regarder si nous laissons assez de place en nous pour que la bonne semence pousse, assez de temps pour que la bonne nouvelle de l’évangile germe et nourrisse nos vies, et si nous laissons à Dieu la place qui lui incombe.
Pour avancer dans la compréhension de la parabole, il faut savoir que l’ivraie est une plante qui ressemble au blé ; nous l’avons vu, il est dangereux de cataloguer trop rapidement ce qui est bien ou mal. Il faut attendre la maturation de la plante pour la distinguer du blé car ses épis portent des graines noires alors que les graines du blé sont ocres.
De plus, l’ivraie est un poison, il a des propriétés hallucinogènes et fait perdre la tête. Ce qui est diabolique est ce qui empoisonne nos vies, c’est tout ce qui nous empêche de vivre l’évangile au quotidien, tout ce qui nous disperse et nous déboussole.
Il est donc vital de supprimer les plants d’ivraie, cet affreux poison avant la moisson. Or il n’incombe à personne d’identifier le mal et encore moins de l’arracher. Nous n’avons donc pas à combattre contre le mal. Car Jésus nous dit que ce n’est pas notre problème puisque c’est Dieu qui s’en charge. Il s’agit une fois de plus de faire confiance à Dieu…
Il y a une petite difficulté dans l’interprétation de la parabole donnée par Jésus. La question du jugement, des pleurs et grincements de dents. Est-ce que Jésus essaie de nous secouer en raison du jugement dernier, eschatologique ? Est ce que nous devons craindre ce jugement ? Allons-nous finir au feu ? Le jugement de Dieu était tout à fait redouté chez les chrétiens jusqu’au XIXe, peut-être aussi début XXe. L’idée que Dieu enverrait rôtir en enfer tous ceux qui se sont comportés de manière inadéquate a largement été véhiculée par le christianisme ancien. Peut-on imaginer un Dieu qui enverrait au feu la majorité de l’humanité ???
Une telle idée ne colle pas bien avec l’idée de la grâce : vous le savez, nous sommes sauvés par grâce au moyen de la foi, autrement dit Dieu, par amour pour nous nous sauve et nous pardonne nos péchés. Tout dépend de la grâce. Elle est don de Dieu, personne ne peut l’obtenir par ce qu’il fait, ni par une vie exemplaire ni par une recherche de pureté. Mais nous devons accepter ce don de la grâce, et répondre à l’exigence de la grâce qui est de vivre l’évangile, par exemple de laisser vivre les autres différemment de nous, et même de les aimer inconditionnellement !
L’important dans cette parabole est de constater que Dieu se charge d’éradiquer le mal et conserve le bien. Notre texte nous dit que les anges arracheront du royaume toutes les cause de chute. Dieu est à l’œuvre en nous, par sa parole, il travaille à valoriser ce qui est bon et nous débarrasse de ce qui est mauvais.
C’est par amour pour nous qu’il accepté la mort son fils Jésus Christ qui a pris sur lui nos péchés, il nous offre de vivre de manière renouvelée par la foi et de grandir dans son Royaume de bonté et de justice.
La bonne nouvelle pour ce matin est la confiance dans l’avenir donnée par Dieu, car la vie est non seulement possible mais mieux encore, elle est victorieuse dans le monde tel qu’il est. Là où l’évangile est semé, il est amené à grandir et à donner du bon fruit, à commencer à l’intérieur de nous-mêmes, dans nos cœurs. Dieu sème et ses anges moissonnent, il nous reste simplement à vivre l’évangile sans tentation de tri, de rejet ou de ségrégation. Il n’est pas notre rôle d’éradiquer le mal, et nous devons résister à la tentation de chercher à séparer le bien et le mal. L’amour, la patience nous permettent de vivre ici et maintenant l’évangile, à notre juste de place d’enfant de Dieu qui, lui, veille au grain.
Dieu enlève la zizanie dans nos vies et dans le monde et nous apporte la paix. Il nous donne sa paix.
Amen.
Pasteure Corinne Gendreau