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L’émerveillement
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Comme Jésus était entré dans Capharnaüm, un centurion l’aborda
et le supplia : Seigneur, mon serviteur est couché à la maison, paralysé et violemment tourmenté.
Il lui répondit : Moi, je viendrai le guérir.
Le centurion répondit : Seigneur, ce serait trop d’honneur pour moi que tu entres sous mon toit ; dis seulement une parole, et mon serviteur sera guéri !
Car je suis moi-même sous l’autorité de mes supérieurs et j’ai des soldats sous mes ordres ; je dis à l’un : « Va ! » et il va, à l’autre : « Viens ! » et il vient, et à mon esclave : « Fais ceci ! » et il le fait.
Après l’avoir entendu, Jésus, étonné, dit à ceux qui le suivaient : Amen, je vous le dis, chez personne en Israël je n’ai trouvé une telle foi.
Je vous le dis, beaucoup viendront de l’est et de l’ouest pour s’installer à table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux.
Mais les fils du Royaume seront chassés dans les ténèbres du dehors ; c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents.
Puis Jésus dit au centurion : Va, qu’il t’advienne selon ta foi. Et à ce moment même le serviteur fut guéri.
Je ne sais pas si, à l’écoute de ces passages bibliques, vous avez relevé un mot commun, présent dans chacun de ces textes.
…
Ce mot est « étonné ». Jésus est étonné, la foule est étonnée, les foules sont étonnées, et même Pilate est étonné.
Dans l’ordre chronologique de l’évangile de Matthieu, c’est d’abord Jésus qui est étonné par la foi du centurion, puis les foules qui s’étonnent de ce que fait Jésus (il a chassé le démon du démoniaque muet et il a opéré tant de guérisons), et enfin Pilate qui est étonné par le comportement de Jésus qui reste muet.
Dans tous ces textes, un même verbe en français pour un mot grec (θαυμάζω, thaumazo) qui a un sens plus large : « s’émerveiller » traduit selon les textes par « être en admiration » ou « être étonné ».
Pour se rappeler la richesse de ce mot s’émerveiller, on peut se poser la question : qu’est-ce qui m’émerveille aujourd’hui ?
…
Un paysage, un arc en ciel, un morceau de musique ou son interprétation, un enfant, une rencontre… Les sources d’émerveillement sont nombreuses et personnelles ; chacun a fait advenir en lui une image mentale ou une idée de l’émerveillement.
Quand on s’émerveille devant un paysage, c’est qu’on le découvre, qu’on le trouve beau, particulièrement beau. L’émerveillement est là plus lié à l’observation et l’admiration qu’à l’étonnement.
Pour une interprétation musicale, l’émerveillement découle de la découverte, de la beauté de l’interprétation. On peut dire qu’on est admiratif devant l’émotion suscitée par le talent du musicien et son interprétation.
Pour un nouveau-né, l’émerveillement tient au mystère de la vie nouvelle, car c’est une vie qui s’ouvre sur l’inconnu de la vie ; sera-t-elle heureuse ? L’émerveillement découle aussi de la vie qui débute, n’est-ce pas effectivement merveilleux ? Ou peut-être à la fragilité de l’enfant ou sa beauté. On peut admirer un enfant, dans le sens de l’observer avec joie, sans lui reconnaître de qualités personnelles particulières.
L’arc en ciel ? Émerveillement devant un phénomène rare et beau ; Dieu qui nous fait un clin d’œil, un signifiant possible de l’arc en ciel…
Dans les exemples donnés, l’émerveillement ne s’explique pas, il se ressent, il est lié aux émotions.
Or notre traduction a écrasé complètement cette qualité de l’émerveillement qui touche aux émotions ; la réaction n’est pas simplement l’étonnement. L’étonnement, on pourrait dire que c’est une vague hésitation avant de passer à autre chose.
Reprenons le premier texte de Mt 8.
10 Après l’avoir entendu (le centurion), Jésus, étonné, dit à ceux qui le suivaient : Amen, je vous le dis, chez personne en Israël je n’ai trouvé une telle foi.
On aurait pu traduire :
10 Après l’avoir entendu, Jésus, émerveillé, dit à ceux qui le suivaient : Amen, je vous le dis, chez personne en Israël je n’ai trouvé une telle foi.
Effectivement, il y a de quoi être émerveillé ; ce centurion a compris qui est Jésus, contrairement aux juifs, il a une grande foi, au point de comprendre que Jésus n’a pas besoin d’être physiquement présent pour que la guérison arrive.
Bref, en disant simplement que Jésus est étonné, on perd la dimension assez exceptionnelle de la foi de ce centurion : non juif, et déjà croyant en Christ, contrairement aux autres qui ne voient ni ne comprennent qui est Jésus. Je crois que Jésus s’émerveille quand un croyant lui fait entièrement confiance ; ce n’est pas juste étonnant, c’est merveilleux, dans le sens d’inexplicable car c’est de l’ordre du croire et d’adhésion personnelle à la foi en Christ.
De plus, parler un peu plus de l’émerveillement de Jésus devant la foi nous permettrait de ressentir le même émerveillement que Jésus quand nous sommes témoins d’expressions de foi.
En Mt 9 et Mt 15, dans le cas de la foule ou des foules, nous avons lu :
33 Et les foules, étonnées, disaient : Jamais rien de semblable ne s’est vu en Israël.
Il y a certes de l’étonnement dans rien de semblable ne s’est vu en Israël. Mais peut-être y a-t-il aussi de l’admiration en plus de l’étonnement, si on se réfère à la quantité de foules qui suivaient Jésus.
Dans l’autre verset, en Mt 15 :
31 La foule s’étonnait de voir les sourds-muets parler, les estropiés redevenir valides, les infirmes marcher, les aveugles voir ; et elle glorifiait le Dieu d’Israël.
On pourrait très bien traduire assez littéralement par « s’émerveiller ».
En effet, il ne serait pas désagréable d’avoir comme traduction :
La foule s’émerveillait de voir les sourds-muets parler, les estropiés redevenir valides, les infirmes marcher, les aveugles voir ; et elle glorifiait le Dieu d’Israël.
Cette traduction aurait l’avantage d’insister sur l’admiration de la foule, et sur sa joie devant autant de guérisons. D’ailleurs, cette foule, on nous dit qu’elle glorifiait le Dieu d’Israël. On ne glorifie pas Dieu quand on est simplement étonné ; il faut plus, la louange faite à Dieu découle de l’émotion et de l’admiration de la foule face aux guérisons, interprétées comme action divine.
L’émerveillement devant des guérisons entraîne la glorification du Dieu d’Israël ; autrement dit, l’émerveillement devant les guérisons conduit à remercier Dieu pour son intervention.
Le dernier passage que j’ai choisi est celui de la comparution de Jésus devant Pilate (Mt 27), après l’arrestation de Jésus et les accusations des prêtres. Jésus reste silencieux malgré toutes les accusations erronées des prêtres et des anciens.
14 Mais il ne lui répondit sur aucun point, ce qui étonna beaucoup le gouverneur.
Il est question de l’étonnement de Pilate ; il est vrai que ce détail surprend un peu car Pilate est gouverneur ; mais historiquement, aucun écrit historique ne permet de décrire la personnalité de Pilate. Beaucoup ont dit que Pilate ne voulait pas condamner Jésus, car sa femme était plutôt favorable à Jésus, qu’elle qualifie de juste un peu plus loin dans le chapitre 27 :
19 Pendant qu’il était assis au tribunal, sa femme lui fit dire : Ne te mêle pas de l’affaire de ce juste, car aujourd’hui j’ai beaucoup souffert en rêve à cause de lui.
On peut aussi légitimement penser que Pilate est étonné car Jésus ne se défend pas ; il n’argumente pas ; pourtant il est certain que jésus n’ignore pas que Pilate a droit de vie ou de mort sur lui.
On peut aussi penser que Pilate est admiratif devant une telle sérénité chez Jésus, dans une situation aussi dramatique. Peut-être Pilate a-t-il compris, grâce à sa femme, que Jésus s’en remet à son Père et non au gouverneur pour le jugement ?
En tout cas, il est souligné que l’attitude de Jésus n’étant pas habituelle dans un procès, Pilate est bousculé, peut-être gêné de condamner ce juste qui ne se défend pas ! Je pense que dans cette situation, c’est aussi plus qu’un simple étonnement qui touche Pilate.
Pour terminer, je voudrais souligner l’importance de l’émerveillement en lien avec la foi chrétienne.
L’émerveillement et la foi sont souvent liés dans la mesure où ils partagent un fondement commun dans la reconnaissance de quelque chose de plus grand que soi.
Ce plus grand que soi peut être lié à la transcendance, par exemple Dieu. L’émerveillement est lié au mystère qui entoure l’action divine, mais aussi à la reconnaissance des bienfaits de Dieu.
Pour prendre un exemple simple, lorsque quelqu’un est émerveillé par la beauté et la complexité de la nature, cela peut conduire à une réflexion sur l’existence d’un Créateur. Dans de nombreuses traditions religieuses, le monde naturel est perçu comme une œuvre divine, et l’émerveillement devant la création peut renforcer la foi en un Dieu créateur.
D’ailleurs, Calvin ne disait-il pas que le sentiment de l’existence de Dieu découlait de l’admiration de la beauté de la création ?
L’émerveillement est la source de la foi. S’émerveiller à propos de la création, s’émerveiller du plan de salut de Dieu, s’émerveiller de l’amour inconditionnel ou de la justice de Dieu… n’est-ce pas là l’origine et le fondement de notre foi ?
Ou encore s’émerveiller devant Jésus, à la fois fidèle au Père et tellement révolutionnaire dans son rapport à la tradition religieuse !
Aujourd’hui, beaucoup d’entre nous se plaignent de l’état catastrophique du monde, de l’ambiance déprimante qui règne ici et là ; « où va-t-on, que fait-on… ». Ce matin, j’aurais envie de vous dire ; surtout ne faites rien d’autre que de vous émerveiller de la vie qui vous est donnée, de la beauté de la création, de la rencontre de frères et sœurs, d’un sourire, d’une grâce.
Oui l’émerveillement est une manière de vivre en relation à Dieu ; non pas de manière naïve ou détachée du monde, mais de manière confiante. Dieu est source d’émerveillement car il est avec nous, il transcende notre ordinaire de vie, il permet de rendre toute chose nouvelle.
Amen.
Pasteure Corinne Gendreau